Covid-19 : Découverte d’un gène mystérieusement caché dans le virus
UP MAGAZINE 11 NOVEMBRE 2020
PAR ALEXANDRE AGET
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Une équipe internationale de chercheurs vient de découvrir un gène mystérieux dans le code génétique du coronavirus SARS-CoV-2 – un segment pratiquement caché dans le génome du virus, et largement ignoré jusqu’à présent. Ce gène inconnu pourrait expliquer pourquoi le virus est si difficile à combattre. Cette découverte a fait l’objet, ce 10 novembre, d’une publication approuvée par les pairs dans la revue scientifique eLife.
Le gène nouvellement identifié — appelé ORF3d — est un exemple de ce que les généticiens appellent un gène de chevauchement en raison de la façon dont il chevauche les séquences codées d’autres gènes. Il s’agit d’une sorte de « gène dans un gène » qui est effectivement caché dans une chaîne de nucléotides,
« En termes de taille du génome, le SRAS-CoV-2 et ses parents sont parmi les virus à ARN les plus longs qui existent », explique le bioinformaticien Chase Nelson du Musée américain d’histoire naturelle, co-auteur de la recherche. Ils sont donc peut-être plus enclins à la « tromperie génomique » que les autres virus à ARN ». Les virus sont en fait assez enclins à héberger des gènes qui se chevauchent, ce n’est donc pas vraiment une découverte choquante. Il reste à voir si l’ORF3d représente vraiment une supercherie génomique destinée à rendre le virus plus difficile à combattre.
Les gènes qui se chevauchent sont difficiles à identifier dans les séquences génétiques, car les systèmes de balayage génomique peuvent souvent les manquer lorsqu’ils parcourent les chaînes du code génétique : programmés pour détecter des gènes individuels, ils ne voient pas nécessairement les instructions globales partagées entre les nucléotides des gènes adjacents dans une séquence.
Point aveugle
Dans le contexte d’un virus comme le SRAS-CoV-2, cela pourrait constituer un sérieux point aveugle. Depuis le début de l’année, les scientifiques s’efforcent d’en savoir le plus possible sur ce virus dévastateur et si certains aspects de sa composition génétique ont été élucidés (notamment le consensus ferme selon lequel il n’a pas été « fabriqué en laboratoire »), il reste beaucoup de choses que nous ne savons pas encore.
« Le chevauchement des gènes peut faire partie de l’arsenal des moyens par lesquels les coronavirus ont évolué pour se répliquer efficacement, contrecarrer l’immunité de l’hôte ou se transmettre » explique Chase Nelson. Quant à l’ORF3d, il reste encore beaucoup à apprendre sur sa raison d’être, pourquoi et comment il se cache dans le génome et chevauche d’autres gènes.
En parcourant les bases de données génomiques, les chercheurs ont découvert que le gène avait déjà été identifié, mais seulement dans une variante du coronavirus qui affecte les pangolins (trouvé dans le Guangxi, en Chine). Il a également été précédemment classé à tort comme un gène non apparenté, ORF3b – qui est présent dans d’autres coronavirus, dont le SRAS-CoV – mais les scientifiques auteurs de l’article de eLife pensent qu’il ne s’agit pas vraiment de la même chose. « Les deux gènes ne sont pas apparentés et codent pour des protéines entièrement différentes », explique ainsi le professeur Nelson. « Cela signifie que les connaissances sur l’ORF3b du SRAS-CoV ne devraient pas être appliquées à l’ORF3d du SRAS-CoV-2. » En clair, ce gène qui était absent du SRAS-CoV original — qui a provoqué une épidémie mortelle entre 2002 et 2004 — pourrait expliquer pourquoi le nouveau coronavirus est si efficace pour se propager parmi les humains par rapport à son prédécesseur.
Cela donne à réfléchir
D’après des tests sanguins antérieurs sur des patients humains atteints de COVID-19, est que l’ORF3d provoque une forte réponse des anticorps. Cela montre que la protéine de ce nouveau gène “mystérieux” est produite lorsque le SARS-CoV-2 infecte les humains. Quant à savoir si les cellules T seraient également déclenchées – ou quels autres objectifs viraux l’ORF3d pourrait avoir – nous sommes toujours dans l’ignorance. Il pourrait être relativement bénin. Mais il se peut aussi que ce ne soit pas le cas. « Nous ne connaissons pas encore sa fonction ni sa signification clinique », déclare Chase Nelson.
Une chose est sûre : dans un virus qui ne possède qu’une quinzaine de gènes connus, la découverte d’un autre gène – sans parler d’un gène de chevauchement – est un événement important. D’autant que cela fait des mois que des centaines d’équipes à travers le monde scrutent le génome du coronavirus sans avoir détecté ce gène mystérieux. Au stade d’avancement de la pandémie dans lequel nous sommes, cela donne à réfléchir. Car ce gène caché pourrait être une tache aveugle impliquant des conséquences importantes pour les traitements des malades et le développement de vaccins. Cela « nous met en danger de négliger des aspects importants de la biologie virale » confie Chase Nelson. Mais pour l’instant nul ne le sait encore avec certitude.
Les résultats sont présentés dans eLife.