Flambée spéculative ou réels espoirs de sortir de la pandémie ?
Que penser du vaccin anti-Covid-19 annoncé par Pfizer et BioNTech ? Flambée spéculative ou réels espoirs de sortir de la pandémie ?
UP MAGAZINE 10 NOVEMBRE 2020
PAR CHARLES-ELIE GUZMAN
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Dès son annonce hier 9 novembre, le vaccin de l’américain Pfizer associé à l’allemand BioNTech, « efficace à 90 % », a fait la une de tous les médias et provoqué une flambée des Bourses occidentales. Il est évident qu’un vaccin éliminerait une grande partie de nos soucis, le monde respirerait et la pandémie de Covid-19 deviendrait rapidement un mauvais souvenir. Accessoirement, ce vaccin représente un enjeu financier considérable. Mais il faut calmer notre ardeur. Car le vaccin annoncé pose de nombreuses questions et les spécialistes, tout en saluant la performance médicale et technique, émettent encore bien des réserves.
Une technique expérimentale jamais utilisée sur l’homme
Parmi les quatre grandes catégories de vaccins développées contre le Covid-19, celle utilisée par Pfizer, qui a annoncé lundi 9 novembre 2020 que son vaccin était « efficace à 90% », n’avait encore jamais fait ses preuves. Elle se fonde sur une technologie nouvelle issue de la thérapie génique, dite de l’ARN messager.
Tous les vaccins ont le même but : entraîner notre système immunitaire à reconnaître le coronavirus, lui faire monter ses défenses de façon préventive, afin de neutraliser le vrai virus s’il venait à nous infecter.
Des vaccins conventionnels peuvent être faits de virus inactivés (polio, grippe), atténués (rougeole, fièvre jaune), ou tout simplement de protéines appelées antigènes (hépatite B).
Mais dans le cas de Pfizer et de son partenaire allemand BioNTech, ou de Moderna, qui utilise la même technique mais n’a pas encore annoncé de résultats, on injecte dans l’organisme des brins d’instructions génétiques appelées ARN messager, c’est-à-dire la molécule qui dit à nos cellules ce qu’il faut fabriquer. Toute cellule est une mini-usine de protéines, selon les instructions génétiques contenues dans son noyau. L’ARN messager du vaccin s’insère et prend le contrôle de cette machinerie pour faire fabriquer un antigène spécifique du coronavirus : la « spicule » du coronavirus, sa pointe si reconnaissable qui se trouve à sa surface et lui permet de s’attacher aux cellules humaines pour les pénétrer. Cette pointe, inoffensive en elle-même, sera ensuite détectée par le système immunitaire qui va produire des anticorps, et ces anticorps vont rester, montant la garde, pendant, on l’espère, une longue durée.
Une fois le matériel génétique injecté, « les cellules qui sont au site de l’injection vont se mettre à produire, de façon transitoire, une des protéines du virus, en l’occurrence la protéine S, la protéine de spicule », a expliqué à l’AFP Christophe D’Enfert, directeur scientifique de l’Institut Pasteur. L’avantage est qu’avec cette méthode, il est inutile de cultiver un pathogène en laboratoire, c’est l’organisme qui fait le travail. C’est pour cette raison que ces vaccins sont plus rapides à mettre au point. Pas besoin de cellules ou d’œufs de poules (comme pour les vaccins contre la grippe) pour fabriquer ce vaccin.
« Les vaccins ARN ont pour particularité intéressante de pouvoir être produits très facilement en très grande quantité », résume Daniel Floret, vice-président de la Commission technique des vaccinations, à la Haute autorité de santé.
À l’heure actuelle, aucun vaccin à ARN n’a été approuvé pour l’homme.
Efficacité vaccinale réelle ou science du buzz ?
Ce lundi 9 novembre, le laboratoire Pfizer, géant de l’industrie pharmaceutique pesant plus de 220 milliards de dollars, a fait une annonce fracassante. Son vaccin, développé avec la startup allemande BioNTech, serait « efficace à 90 % » pour prévenir le Covid-19. Une efficacité mesurée sur la base de 94 cas de la maladie, observés dans le cadre d’un essai à grande échelle.
Le communiqué du laboratoire n’est assorti d’aucun article scientifique et ne fournit aucune précision sur les données lui permettant d’affirmer cette performance. On sait seulement que l’analyse était basée sur 94 cas de Covid-19 parmi les 43.500 participants à l’étude. Sur cette cohorte qui avait reçu deux injections du vaccin, le laboratoire a identifié 94 personnes qui avaient déclaré la maladie sept jours après la vaccination. Sur ces 94 personnes, seulement 9 étaient dans le groupe vacciné. Tous les autres étaient dans le groupe non vacciné. C’est tout ce que l’on sait. L’allégation d’une efficacité de 90% signifie que presque tous ces cas se sont produits chez des volontaires ayant reçu le placebo, quelques-uns ayant reçu le vaccin ont également été malades. « C’est vraiment un nombre spectaculaire », a déclaré Akiko Iwasaki, immunologiste à l’université de Yale, au New York Times.
Un enthousiasme que d’autre spécialistes tempèrent car Pfizer n’a pas communiqué la répartition exacte du nombre de personnes tombées malades après avoir reçu le vaccin de Pfizer par rapport au placebo. Le communiqué ne précisait pas non plus combien de cas étaient graves ou légers, ni si les différents groupes d’âge avaient des niveaux de protection différents.
Par surcroît, Pfizer n’a fourni aucun détail sur le profil de sécurité, comme la fréquence et la gravité des effets secondaires typiques. Le PDG du laboratoire, Albert Bourla, a déclaré que la société partagerait des données supplémentaires sur l’efficacité et la sécurité « dans les semaines à venir ».
« Il y a beaucoup, beaucoup de questions en suspens qui restent sans réponse », a affirmé William Haseltine, ancien professeur de médecine de Harvard, expert en virologie et maladies infectieuses, aujourd’hui président d’Access Health International, un groupe de réflexion à but non lucratif sur les soins de santé. « Nous ne savons pas si le vaccin de Pfizer prévient l’infection, précise-t-il, ce qui soulève la possibilité de porteurs asymptomatiques ».
La plupart des questions que posent les spécialistes de virologie portent sur les limites de l’étude. L’essai a été conçu pour voir s’il y avait moins de cas de COVID-19 symptomatique, la maladie causée par le coronavirus, chez les personnes recevant le vaccin plutôt qu’un placebo.
Le professeur Haseltine fait apparaître une distinction cruciale qui pourrait avoir une influence majeure sur la réponse à la pandémie : « Ce vaccin prévient-il l’infection aussi bien que la maladie ? »
Selon lui, l’essai de Pfizer, et les études en cours d’autres grands développeurs de vaccins contre les coronavirus, ne testent pas régulièrement des volontaires pour évaluer les infections asymptomatiques. Cela pourrait signifier que les personnes vaccinées pourraient toujours devenir des porteurs asymptomatiques et transmettre le virus à d’autres personnes sans le savoir. « C’est un point important que la plupart des gens n’apprécient pas, je pense », précise-t-il. « Cela ne signifie pas la fin de l’épidémie. »
Cet expert a également soulevé la question de savoir si le vaccin réduit la gravité de la maladie et, en fin de compte, affecte le nombre d’hospitalisations et de décès. Là encore, les conclusions de l’étude sont limitées par son objectif principal, qui ne faisait pas la distinction entre un patient légèrement malade du Covid-19 — peut-être quelqu’un qui a un peu de fièvre et qui tousse pendant quelques jours — et quelqu’un qui est gravement malade.
Enfin, le communiqué de presse de Pfizer ne mentionne pas si le vaccin semble aussi efficace dans différents sous-groupes, tels que les personnes âgées, qui sont plus susceptibles de subir les pires conséquences du virus.
Une annonce à forte coloration politique ?
Si l’affirmation de Pfizer tient la route, et qu’aucun risque de sécurité n’apparaît, elle suggère que les vaccins contre les coronavirus en général s’avéreront être une contre-mesure très efficace contre la pandémie. En comparaison, les vaccins annuels contre la grippe ne préviennent les maladies de type grippal que dans environ 50 % des cas.
Au cours de l’automne, Pfizer et son PDG ont subi d’intenses pressions pour ne pas annoncer prématurément des résultats positifs ou se précipiter pour demander l’autorisation de son vaccin avant le jour des élections. Cette campagne a été menée publiquement par plusieurs médecins, qui craignaient que les données ne soient politisées par la Maison Blanche.
En fin de compte, Pfizer a choisi de retarder l’examen de ses données, mais cette décision a peut-être eu ses propres conséquences politiques. Étant donné la force des résultats de Pfizer, une telle annonce de aurait pu affecter le vote lors de l’élection présidentielle entre le président Donald Trump et son challenger Joe Biden.
Aujourd’hui, les deux hommes ont pesé sur l’actualité du vaccin avec des déclarations qui ont montré des perspectives radicalement différentes à l’égard du Covid-19. Dans un tweet, le président Trump sortant a déclaré : « Le marché des actions est en hausse, le vaccin arrive bientôt. RAPPORTENT UNE EFFICACITÉ DE 90 %. UNE SI BONNE NOUVELLE ! » Il s’empresse ensuite d’accuser le laboratoire d’avoir retardé son annonce pour des raisons politiques. De là à laisser planer le spectre d’un complot, Donald Trump a sauté le pas. « La FDA [Food and Drug Administration] et les démocrates ne voulaient pas qu’un vaccin me fasse GAGNER, avant l’élection, alors il est sorti cinq jours plus tard – comme je l’ai toujours dit ! », a-t-il lancé dans un autre tweet. « Si Joe Biden était président [Donald Trump ne reconnaît toujours pas la victoire de Biden, NDLR), vous n’auriez pas le vaccin avant quatre ans, et la FDA ne l’aurait pas approuvé aussi vite. La bureaucratie aurait détruit des millions de vies ! »
Dans sa propre déclaration, également postée sur Twitter, le président élu Joe Biden a félicité les scientifiques impliqués mais a averti qu’ « il faudra encore de nombreux mois avant qu’un vaccin soit largement répandu dans ce pays » et que les gens devront continuer à combattre le virus en utilisant la distanciation sociale, en se lavant les mains et en portant un masque. « Dans un avenir prévisible, un masque reste une arme plus puissante contre le virus que le vaccin », a déclaré M. Biden.
Qui en profitera ?
Le gouvernement américain, sous l’impulsion du président Donald Trump, a signé un contrat de 1,95 milliard de dollars avec Pfizer pour la livraison de 100 millions de doses, si le vaccin était approuvé. Toutes ces doses seront livrées aux Etats-Unis, qui espèrent commencer à vacciner les personnes vulnérables avant la fin de l’année.
De son côté, l’Union européenne finalisera « bientôt » une commande pour acheter jusqu’à 300 millions de doses. L’exécutif européen a conclu en septembre un accord préliminaire avec l’allemand BioNTech et l’américain Pfizer pour précommander 200 millions de doses de leur vaccin en préparation, avec l’option d’en acquérir cent millions de doses supplémentaires.
Après l’autorisation de mise sur le marché par la Commission européenne d’un vaccin, les États auront « un accès égal » aux doses et il leur reviendra de décider quelles populations vacciner en priorité.
Un marché juteux, mais encore faudra-t-il être capable de produire par centaines de millions de doses ce vaccin. D’autant que la nature de ce nouveau vaccin à ARN exige qu’il soit conservé à très basse température (-80°C), ce qui complique grandement la logistique pour acheminer le vaccin partout sans rompre la chaîne du froid.
En réalité, le calendrier vraisemblable de mise à disposition du vaccin pour le plus grand nombre est semé de nombreuses étapes.
Préalable à tout, Pfizer doit fournir des informations scientifiques complémentaires. Le laboratoire s’est engagé pour la semaine du 16 novembre.
La Food and Drug Administration américaine doit alors décider s’il y a lieu d’accorder une autorisation d’urgence. On ne sait pas exactement combien de temps cela pourrait prendre, mais l’agence a déclaré vouloir agir rapidement (autre mise en garde : l’autorisation, dans un premier temps, pourrait ne concerner que les groupes les plus à risque, comme les personnes âgées et les travailleurs de la santé).
Pfizer a déclaré que certaines doses pourront être délivrées cette année — mais seulement 50 millions pour le monde entier. Chaque dose nécessitant deux injections, les 50 millions de doses ne seront destinées qu’à 25 millions de personnes. Les patients doivent également attendre trois semaines entre leur première et leur deuxième injection.
C’est courant 2021 que le gros des doses arrivera, soit 1,3 milliard de doses. C’est à ce moment-là que les personnes qui ne sont pas considérées comme présentant un risque élevé pourraient commencer à être vaccinées.
Le vaccin doit être transporté à des températures ultra-froides ce qui pourrait rendre difficile l’accès rapide à certains endroits. D’autres problèmes logistiques, comme une pénurie de flacons de verre, pourraient entraver le bon déroulement du déploiement du vaccin.
En bref, la disponibilité du vaccin est un parcours long et complexe ; le volume des demandes étant phénoménal, on peut aussi s’interroger sur la capacité industrielle de la startup BioNTech de fabriquer suffisamment de doses aussi rapidement que la pandémie l’exige.
L’euphorie boursière, symptôme de l’impatience du monde
L’annonce de Pfizer laissant entrevoir le bout du tunnel de la pandémie a aussitôt déclenché une euphorie boursière. Le Dow Jones a gagné 3 %, Londres 5 % et Paris 7,6 %. Les valeurs du secteur de la santé comme celles pénalisées par les restrictions et la crise sanitaire telles que l’aéronautique ont fait des bonds alors que celles qui ont vu leurs profits croître du fait du confinement comme Amazon ou Zoom ont singulièrement reculé.
Cette surréaction des marchés financiers marque leur impatience à revenir à un état « normal », c’est-à-dire, le plus souvent, au monde d’avant. Les spéculateurs financiers, guidés par les algorithmes à haute fréquence, rêvent de revenir au trafic aérien intense, aux usines qui carburent, aux voitures qui circulent et engloutissent de l’énergie fossile.
Désespérant pour les défenseurs de l’environnement qui se retrouvent partagés. Certains comme Yannick Jadot, patron des écologistes français, qui met la santé publique en priorité, et ne craint pas de s’avancer en proposant que la vaccination contre le Covid-19 soit obligatoire, déclenchant ainsi un débat qui s’annonce houleux. D’autres comme le député européen Pierre Larrouturou qui voit bien que le monde financier et les gouvernements comme celui d’Emmanuel Macron rêvent du même retour à « la normale », et s’engage dans une grève de la faim inédite au parlement européen pour alerter sur la nécessité impérieuse de financer la transition écologique.
Le grand désarroi du monde se lit dans cette annonce de vaccin. Elle suscite un enthousiasme émotionnel plus que rationnel. Nous avons besoin de sortir de cette période pandémique au plus vite. Tout espoir est une planche à laquelle chacun s’accroche. Peu importe si les données scientifiques sont incomplètes, si la course au vaccin est loin d’être terminée, et si les plus grandes zones d’ombre voilant pudiquement la distribution de la dose miracle anti-Covid-19 subsistent encore. Le monde s’est précipité sur un espoir. Pourvu qu’il ne soit pas vite déçu.