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Conflict between USA and China, male fists - governments conflict concept

La Chine creuse l’écart

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La Chine creuse l’écart

Obli.be 27/10/2020

Tandis que la pandémie redouble d’intensité en Europe, aux USA et dans d’autres parties du monde, la Chine a tourné la page. Elle s’est débarrassée du virus et son économie a redémarré sur les chapeaux de roues. Au troisième trimestre, son PIB a bondi de 4,9% et la Chine sera le seul pays majeur à afficher une croissance positive en 2020. Un avantage dont elle profite pour avancer ses pions. Le contraste avec le chaos qui règne en Occident est saisissant. Au delà des différences profondes nous séparent, la Chine a peut-être quelque chose à nous apprendre.

En affichant une croissance de 4,9% par rapport au troisième trimestre 2019, la Chine est la preuve qu’un pays peut rebondir après une crise sanitaire majeure, pour autant que tout soit mis en oeuvre pour juguler l’épidémie. Il est vrai que les Chinois ont employé les grands moyens pour casser les chaînes de propagation du virus : confinement total du pays puis confinement ciblé, « testing et tracing » systématique, division du territoire en codes couleurs correspondant aux zones à risque, code QR à scanner pour accéder aux gares, aéroports etc. Les Chinois n’ont voulu prendre aucun risque : ils n’ont pas hésité à tester les dix millions d’habitants de la ville de Qingdao, à cause de la présence de quelques cas asymptomatiques.

Cette politique du « zéro Covid » a fini par porter ses fruits. L’épidémie là-bas n’est plus qu’un mauvais souvenir. On ne dénombre qu’une dizaine de cas par jour, sur un pays de 1,4 milliard d’habitants. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, la petite Belgique en déplore mille fois plus. Rassurés au plan sanitaire, les Chinois ont pu regagner leurs lieux de travail dès la levée du confinement et sans attendre l’annonce officielle par Xi Jinping de la fin de la crise sanitaire, l’activité économique avait quasiment retrouvé ses niveaux d’avant la pandémie. Si la croissance chinoise se poursuit au rythme actuel, elle représentera près d’un tiers de la croissance mondiale en 2020. Sur base des données du FMI, Bloomberg a calculé qu’elle serait de 27,9% pour les cinq années à venir. A comparer avec la part de l’Allemagne : 1,9%.

Relance domestique

Pour amortir le choc consécutif à deux mois de confinement conjugué à une baisse brutale de la demande mondiale, les Chinois ont fait appel à leur recette habituelle : relancer la machine en se repliant sur leur marché intérieur et en procédant à des investissement publics importants dans les infrastructures : autoroutes, lignes de TGV, réseaux de fibres optiques. Pour l’anecdote, ils ont même décidé d’installer des ascenseurs dans trois millions d’immeubles anciens.

Bien que le secteur manufacturier demeure le premier moteur de la croissance chinoise, les secteurs des services et du commerce de détail ont également connu une embellie. Les ventes de détail ont représenté 0,9% de croissance au Q3 et le premier créneau à en profiter fut celui de l’automobile, qui a connu une progression de 11,2% par rapport à 2019 et affichait son cinquième mois consécutif de progression à deux chiffres. Ont également bénéficié de la reprise: les cosmétiques, la bijouterie, le tabac et l’alcool, ce qui s’explique sans doute par le grand nombre de mariages traditionnellement célébrés en cette saison. Les ventes en ligne, qui ont connu un boom spectaculaire pendant la pandémie, continuent également sur leur lancée.

Les problèmes structurels n’ont pas disparu

Même si la conjoncture en Chine est bonne et en tout cas, bien meilleure que le marasme dans lequel sont plongées les économies développées, tout n’est pas rose pour autant. La reprise est très inégalitaire. Ce sont surtout les hauts revenus qui en profitent. Les ventes de voitures de luxe ont bondi de 33% par rapport à 2019 mais la classe moyenne est restée prévoyante et préfère mettre de l’argent de côté pour payer les études des enfants, financer la retraite et faire face aux imprévus, en l’absence d’une véritable couverture santé en Chine. Cette retenue, très compréhensible dans un pays qui n’est sorti de la misère que depuis quelques décennies, est la raison pour laquelle les dépenses de consommation des ménages n’ont jamais dépassé 40% alors qu’elles sont de 65-70% dans les économies avancées. Pour éviter à la Chine de dépendre des seules exportations, les autorités chinoises tentent depuis des années de stimuler la consommation intérieure mais la population reste prudente, ce qui explique le niveau d’épargne élevé des ménages. 

Un autre écueil que doit affronter l’économie chinoise, c’est le déséquilibre croissant entre les investissements publics qui sont considérables et les investissements privés, qui stagnent depuis plusieurs mois. Les pouvoirs publics (gouvernement central, provinces et municipalités) se sont lourdement endettés pour soutenir la reprise. La participation de plus en plus importante de l’Etat chinois dans les entreprises, à rebours de la libéralisation espérée, risque à terme de constituer un frein à la croissance et de susciter la méfiance des investisseurs étrangers. Autre souci : le secteur immobilier, qui représente 25% de l’économie chinoise, a été porté à bout de bras par les banques publiques mais ces dernières risquent un jour d’être submergées par les créances insolvables.

A la différence des économies avancées, les responsables chinois se sont refusés de faire tourner la planche à billets via le rachat d’obligations par leur banque centrale. Ils ont également choisi de ne pas aider directement les travailleurs en distribuant des chèques ou en prenant en charge les chômeurs partiels. Confiants dans leur capacité à résoudre la crise sanitaire et sûrs de posséder une économie dynamique, ils ont préféré miser sur le redémarrage des entreprises via des prêts et des réductions fiscales. Pour l’instant, cette stratégie semble payante.

Une bourse au beau fixe

Signe que le rebond est au rendez-vous, les marchés financiers chinois ont retrouvé des couleurs. Le yuan a repris 6-7% depuis le début de l’année face au dollar et pour la première fois, l’ensemble des titres cotés sur les bourses de Shanghai et de Shenzhen a dépassé les 10 trillions de dollars. L’indice CSI 300 qui rassemble les principales valeurs chinoises de qualité, a progressé de près de 15% cette année et il se négocie à 19 fois les bénéfices de l’année écoulée, ce qui reste bon marché aux yeux de certains analystes. Quant à l’introduction en bourse d’Ant Group, le bras financier du groupe Alibaba, qui aura lieu ces prochains jours, elle a des chances d’être la plus importante de l’histoire.

Dans un article paru dans le Financial Times, Ray Dalio, l’ancien patron du hedge fund, Bridgewater, affirme que la Chine est la super-puissance de demain et que le temps joue en sa faveur. Il conseille aux gestionnaires d’augmenter la part d’actions chinoises dans leur portefeuille. Pour l’heure, dit-il, les investisseurs étrangers ne détiennent que 3% de titres chinois dans leurs allocations d’actifs alors qu’une pondération neutre en exigerait 15%.

Une puissance qui suscite des craintes

Ray Dalio ne sous-estime pas pour autant les gros nuages noirs qui se profilent à l’horizon. Une Chine qui, à la faveur de la crise actuelle, creuse l’écart avec les Etats-Unis et le reste du monde, risque de devenir encore plus assertive et menaçante. Et par effet de boomerang, la méfiance à l’égard de la Chine risque de creuser encore davantage.

En l’espace de quelques mois, les sources de conflits potentiels se sont accumulées : menaces sur la sécurité des données dans affaire Huawei, méfiance grandissante à l’égard des entreprises liées au parti communiste chinois, représailles commerciales contre l’Australie, l’Allemagne et la Suède, escarmouches armées à la frontière indienne, contrôle de la navigation en mer de Chine, répression à Hong Kong et au Xinjiang, importante flotte de pêche chinoise siphonnant les eaux poissonneuses de l’hémisphère sud, masques de mauvaise qualité vendus en Europe etc. En très peu de temps, la Chine est passée de partenaire à adversaire. Selon un sondage réalisé par Pew Research auprès des populations occidentales, l’image de la Chine n’a jamais été aussi mauvaise. Et pour la première fois, la Commission européenne a qualifié la Chine de « rival systémique ».

Les dirigeants chinois commencent d’ailleurs à prendre conscience des craintes suscitées par leurs ambitions à peine masquées. Le nouveau plan de cinq ans ainsi que les objectifs pour 2035, qui seront adoptés lors du plénum du Parti communiste chinois, apparaissent plus modérés dans leur formulation que le fameux plan « Made in China 2025. Ce dernier, qui appelait à la domination chinoise dans certains secteurs de haute technologie, avait effectivement jeté de l’huile sur le feu dans les relations avec les Etats-Unis.

Vers un découplage global

Certes, la Chine vise toujours l’auto-suffisance (« self-reliance »), c’est-à-dire la maîtrise de la chaîne de valeur dans un certain nombre de secteurs clés mais elle affirme en même temps sa volonté d’assouplir l’accès à son marché et d’ouvrir le pays aux investissements étrangers. De fait, elle applique le principe de la « double circulation », qui consiste à développer son marché domestique en réduisant sa dépendance à l’égard du monde extérieur mais en ne renonçant pas aux relations avec l’extérieur qui ont contribué à sa richesse.

On constate le même effort de découplage du côté des économies avancées qui, à leur tour, ont pris conscience de leur trop grande dépendance à l’égard de la Chine, à la fois en tant que marché et en tant que principal manufacturier. Le fait que la santé de millions d’Occidentaux ait pu reposer à ce point sur la fourniture de masques fabriqués en Chine fut une douloureuse piqure de rappel de cet assujettissement. La crise présente aura au moins cet avantage : celui d’amener les pays occidentaux à comprendre leurs vulnérabilités et à renforcer leur résilience aux chocs en relocalisant les industries vitales ou en diversifiant les sources d’approvisionnement. Bref, en faisant un peu comme les Chinois.