IPO PALANTIR
L’Opinion Maureen Farrell, Corrie Driebusch et Eliot Brown 25 septembre 2020
IPO: l’action Palantir devrait s’envoler dès le premier jour
Les banquiers ont dit aux investisseurs que les actions pourraient commencer à se négocier à environ 10 dollars, selon certaines sources. La valorisation de Palantir Technologies devrait atteindre des sommets lors de son introduction en Bourse – malgré une structure de gouvernance inhabituellement intransigeante –, dernier signe en date de l’immense appétit des investisseurs pour de nouvelles actions.
Le spécialiste des logiciels de big data a décidé de ne pas emprunter la voie traditionnelle de l’IPO, pour lui préférer la cotation directe, procédure consistant, pour une entreprise, à mettre à disposition du marché des titres existants et à le laisser en fixer le prix. En amont d’un premier jour de cotation fixé au 30 septembre, les banques-conseil de Palantir ont informé des investisseurs que les titres pourraient commencer à s’échanger autour de 10 dollars l’action, selon des sources proches du dossier. Soit une valorisation boursière de près de 22 milliards de dollars sur une base entièrement diluée.
Sur les marchés privés, l’action Palantir a connu une tendance haussière au cours de l’année dernière. Le cours moyen pondéré en fonction du volume était de 7,31 dollars en août, puis de 9,17 dollars en septembre.
Ces prix moyens sont susceptibles d’aider à déterminer le cours de référence de Palantir, c’est-à-dire la valeur du titre prévue à l’ouverture des échanges lors du premier jour de cotation directe. La Bourse publie le cours après avoir examiné les transactions récentes sur le marché privé et consulté les conseillers financiers de l’entreprise.
Rien ne garantit que les actions de Palantir s’échangeront au prix attendu, et même si c’est le cas, que le cours restera aussi haut durablement.
L’hypothèse d’une capitalisation boursière élevée pour Palantir est le plus récent exemple de l’improbable boom que connaît le marché des introductions en Bourse, les investisseurs se ruant sur les actions que les entreprises s’empressent d’émettre, au beau milieu d’un marasme économique. Le marché des introductions en Bourse tourne à plein régime, en partie grâce à la hausse des cours de Bourse, notamment ceux des sociétés technologiques.
Palantir conçoit des logiciels utilisés à la fois par de nombreuses agences gouvernementales – notamment des outils permettant de traquer les personnes suspectées de terrorisme – et par des entreprises pour organiser et analyser des données.
La forte demande pour les actions de cette société non rentable est d’autant plus étonnante que ses fondateurs ont mis en place l’une des structures de gouvernance les plus intransigeantes jamais vues. Les parts des trois co-fondateurs de Palantir – l’investisseur milliardaire Peter Thiel, le directeur général Alex Karp et le président Stephen Cohen – sont structurées de manière à leur donner plus de pouvoir à mesure que le trio vend ses actions, selon les documents déposés auprès des autorités boursières. Grâce à une caractéristique unique de la structure de vote, M. Cohen, par exemple, pourrait toujours contrôler dans les faits la société en ne possédant que 0,5 % des actions.
Par ailleurs, Palantir affiche aussi une liste exceptionnellement longue de transactions entre la société et ses dirigeants, connues sous le nom de « transactions entre parties liées » et qui ont tendance à faire grincer des dents les défenseurs de la bonne gouvernance. L’entreprise a prêté 25,9 millions de dollars en 2016 à M. Cohen, qui a remboursé la majeure partie de cette dette en août en utilisant certaines de ses actions. Les prêts aux dirigeants ne sont pas autorisés pour les entreprises cotées.
La structure de vote de Palantir représente une nouvelle étape dans la tendance des fondateurs de start-up de ces dernières années à conserver le contrôle sur leur entreprise après leur introduction en Bourse – même si, dans de nombreux cas, ils se donnent la possibilité de récolter des bénéfices exceptionnels en vendant la plupart de leurs actions.
La structure de Palantir « l’amène à un autre niveau de concentration du pouvoir autour de ses fondateurs », estime Anita Dorett, directrice associée des programmes à l’Interfaith Center on Corporate Responsability (N.D.L.R. : association qui milite pour la responsabilité sociale des entreprises). Cette structure a critiqué une partie du travail de Palantir avec les agences gouvernementales américaines impliquées dans les expulsions [NLDR: de migrants], entre autres préoccupations.
Ni Palantir ni les fondateurs n’avaient de commentaire à faire sur la gouvernance de la société.
Les investisseurs sont devenus plus méfiants à l’égard des structures de vote qui donnent aux fondateurs un trop grand pouvoir sur leur entreprise, en particulier après l’introduction en Bourse bâclée et très médiatisée de WeWork l’année dernière. Cette dernière s’est effondrée en grande partie à cause de l’emprise démesurée de son co-fondateur et ancien PDG Adam Neumann et des centaines de millions de dollars qu’il a récoltés en vendant ses actions et en effectuant d’autres transactions avec la société.
Mais leur appétence pour le risque a évolué et les investisseurs semblent maintenant prêts à faire abstraction des questions de gouvernance d’entreprise dans leur course aux valeurs vedettes, à une heure où le marché des nouvelles émissions est en plein essor.
Cette année s’annonce comme l’une des plus fructueuses jamais connues en termes d’introductions en Bourse, les investisseurs saisissant chaque opportunité d’investir dans de jeunes pousses technologiques en forte croissance. Les sociétés émettrices avaient recueilli 95 milliards de dollars lors des introductions en Bourse aux Etats-Unis sur l’année, mercredi soir, dépassant les 84 milliards de dollars recueillis à la même date en 2000, la précédente année record, selon Dealogic.
Dans de nombreux cas, les actions nouvellement cotées en Bourse montent en flèche, avec une hausse moyenne de 22 % lors de leur premier jour de négociation. C’est la meilleure performance moyenne d’un premier jour de cotation depuis le boom technologique. Dernier exemple en date, la société de stockage de données Snowflake a vu le cours de ses actions plus que doubler lors de leur première journée de négociation et, ce, malgré un prix largement supérieur à la fourchette initiale.
Dans son dossier d’introduction en Bourse déposé auprès des autorités mardi, Palantir a donné des orientations pour le reste de l’année, ce que les entreprises ne peuvent pas faire dans le cadre des introductions en Bourse traditionnelles, mais qui est autorisé dans le cadre des cotations directes. Pour son exercice fiscal 2020, Palantir a annoncé viser une croissance du chiffre d’affaires de 42 %, à environ 1,1 milliard de dollars.
Comme beaucoup d’autres entreprises technologiques avec une valorisation élevée avant leur entrée en Bourse, Palantir n’a jamais dégagé de bénéfices. Pour 2019, l’entreprise a même enregistré une perte nette de 579,6 millions de dollars, soit à peu près la même qu’en 2018. La première moitié de 2020 a cependant montré une amélioration, avec une perte de 164 millions de dollars, contre un déficit de 274 millions de dollars pour la même période en 2019.
Certains investisseurs potentiels affirment penser que, même s’ils trouvent la structure de vote de la société très critiquable, Palantir va continuer à croître et que le cours de Bourse va grimper au fil du temps.
En principe, la formule de cotation directe permet aux actionnaires et aux salariés existants de vendre immédiatement la plupart ou la totalité de leurs actions plutôt que d’attendre la période de blocage obligatoire de 180 jours dans la plupart des introductions en Bourse traditionnelles. Mais Palantir a pris des mesures pour limiter l’offre d’actions sur le marché en n’autorisant les détenteurs existants à ne vendre que 20 % de leurs parts jusqu’au début de l’année prochaine. Rendre le titre rare pourrait permettre de soutenir son prix.
Même en cas d’augmentation soudaine du prix, les actions Palantir pourraient s’échanger à un prix plaçant sa capitalisation proche de celle atteinte lors de sa levée des fonds il y a cinq ans. Depuis sa création en 2003, Palantir a levé plus de 3 milliards de dollars ; elle est devenue l’une des start-up les plus valorisées après qu’une levée de fonds opérée en 2015 a porté sa valorisation à 20 milliards de dollars.