Inflation : vers un «Grand Reset» ?
LE GRAND RESET MONDIAL Inflation : vers un «Grand Reset» ?
LE CERCLE DES ANALYSTES INDÉPENDANTS•18/09/2020 à 09:00
François d’Hautefeuille Boursorama
o Le Gouverneur de la FED, M. Jerome Powell, a annoncé une reflation américaine vers le taux naturel de 4/5% lors de la conférence de Jackson Hole.
o Cette «inflation annoncée» va fortement impacter la valorisation des actifs financiers et donc les stratégies d’investissement. On peut parler d’un « grand reset » de l’environnement économique et financier, thème de la prochaine conférence de Davos.
- Un nouvel Age d’Or sortira peut-être de cette reflation si on pense que les économies occidentales ont accumulé un retard important entre leur PNB réel et leur PNB potentiel, à commencer par l’Italie. Dans ce cas, la hausse des actions ne fait que commencer…
- Un discours refondateur sur un changement majeur de politique de la FED
- Dans un discours de 20 mn, le président de la FED, Jerome Powell a certainement écrit une page qui rentrera dans l’histoire.
La conférence de Jackson Hole est une sorte de Davos des banques centrales qui a lieu chaque année fin août dans une station montagnarde de rêve. C’est là que la FED a annoncé plusieurs fois des tournants majeurs de sa politique : début du Quantitative Easing (QE) de Bernanke en 2008, fin de ce QE via le « FED tapering » de 2012. Ces discours ont impacté fortement la valorisation des marchés et toute l’activité économique.
- Dans son discours, Jerome Powell a annoncé un changement qui met fin à 40 ans de déflation mondiale, mais surtout à 20 ans d’expérience monétaire liée à la globalisation. Il faut remonter en effet à Paul Volcker et son annonce d’une fin de la « grande inflation » Nixon / Kissinger des années 70s. Cette grande inflation avait mis fin aux accords de Bretton Woods et fait flamber les taux longs américains à près de 20% lors des années Carter.
- M Jerome Powell n’annonce certes pas un retour à une inflation majeure à la Nixon / Kissinger. Il annonce seulement une « renormalisation » de l’inflation et des taux longs américains vers leur « taux naturel » de 4/5% (objectif donné par M. Powell).
- Cet objectif de taux fait référence à la notion de « taux naturel » d’une économie défini par Wicksell lors des années 20s. Cette théorie affirme qu’il existe un « taux d’équilibre naturel » qui permet d’optimiser l’allocation investissement / épargne. Il est donc à la base de la maximisation de la croissance optimale de la création de richesse. Cette approche a été mise en place en Allemagne depuis les années 50s via la « Stabilitaetspolitik » de Ludwig Ehrhardt reprenant les principes fondateurs de l’école autrichienne de la monnaie (Miese, et surtout Hayek).
- Le taux naturel correspond au taux historique moyen autour de 5/6%, soit 2/3% d’inflation, 1% de croissance de la productivité, 1% de croissance de la population et 1% de prime de risque.
Quel impact économique d’une divergence entre taux réel et taux naturel ?
Friedrich von Hayek a étudié dans un livre fondateur «Price and Production» l’impact économique d’une création de monnaie qui fait diverger le taux nominal de ce taux naturel. Contrairement à Keynes qui a focalisé ses recherches sur des agrégats macroéconomiques, plus simples mais forcément plus éloignées de la réalité, Hayek part d’une analyse micro économique « bottom up ». Il réfléchit quant à l’impact sur les décisions d’investissement et aussi de consommation d’un éloignement du taux d’inflation de son taux naturel.
Les entreprises ont tendance à sous-investir quand l’inflation est basse car la demande diminue. De fait, les consommateurs ne sont pas incités à dépenser leur épargne dans la mesure où les prix des biens stagnent ou baissent. Ils reportent donc leurs achats et privilégient une épargne de précaution. De ce fait, la croissance économique stagne suite à cette stagnation de la consommation et de l’investissement. On a là tous les critères de la «lost generation» de ces 20 dernières années dans bien des pays européens à commencer par l’Italie.
Vers la fin du « forced saving » ?
Bernanke a résumé l’impact de cette stagnation de ces 20 dernières années par son fameux « saving glut ». Les pays riches ont sans doute connu une période de « forced saving » (épargne forcée) via une japonification de leurs économies vers le fameux « liquidity trap » de Keynes. Ce « piège à la liquidité» correspond à une situation de sous création monétaire qui renforce les comportements de reports des décisions de consommation et d’investissement dans un environnement monétaire qui ne permet pas d’optimiser l’équilibre risque / investissement d’une zone économique. Malheureusement, le Japon et la Zone Euro semblent bien proches d’une telle situation.
Vers un nouvel Age d’Or ?
La Commission européenne semble avoir validé cette baisse tendancielle de la croissance économique structurelle des pays Européens. Elle a ainsi estimé le taux de croissance potentiel de l’Italie à moins de 1% en réduisant ses estimations d’ « output gap » (différentiel entre le PNB réel et le PNB potentiel). Ceci justifie donc a posteriori la stagnation du PNB par habitant de l’Italie depuis 20 ans, soit la création de l’Euro. La richesse Italienne ne monterait plus car les Italiens vieillissent et ont perdu leur génie créateur. C’est une explication alternative à une explication monétaire de la « sous croissance » italienne.
Boris Johnson a affirmé à la suite du Brexit que le Royaume Uni était au bord d’un nouvel Age d’Or Elisabéthain et non pas d’une stagnation à l’Italienne. Il insiste sur les gains importants de productivité liés à la digitalisation de l’économie ainsi que le retard du PNB par rapport à sa tendance de croissance à long terme.
Le PNB Italien a stagné depuis la création de l’Euro. Deux analyses s’affrontent. La Commission Européenne a réduit à la baisse le taux de croissance potentiel de l’Italie suite au vieillissement de sa population. D’autres analystes voient au contraire un fort « output gap » par rapport aux taux de croissance pré Euro et donc la possibilité d’un nouvel Age d’Or si la croissance monétaire Italienne revient à ses tendances naturelles. En interpolant la tendance historique long terme, l’Italie a un « output gap » de près de 20/25%.
La Chine s’est-elle accaparé l’épargne mondiale ?
Certains analystes pensent que cette stagnation de la « lost generation » de ces 20 dernières années en Europe, en particulier du Sud, est liée à une « sur-ponction » de l’épargne Européenne par la finance offshore afin de financer la croissance chinoise.
La Chine s’est accaparé une part majeure de la croissance mondiale et donc de l’épargne mondiale au cours des 20 dernières années.
Quelle stratégie d’investissement dans une telle reflation ?
L’annonce de Jerome Powell d’une reflation imminente de l’économie USA et donc mondiale va avoir des conséquences majeures sur les politiques d’investissement.
Vers la fin du 60/40 ?
Depuis 20 ans, la stratégie classique d’investissement des grandes gestions de patrimoine est une allocation fixe 60% en obligations et 40% en actions. Une telle stratégie a un risque autour de 10% et un potentiel de performance autour de 6% avant frais et autour de 4/5% après frais. Elle permettait donc d’assurer un rendement autour de 4% pour les investisseurs soit environ 2 fois l’inflation.
Cette stratégie est clairement remise en cause par l’annonce de la FED. De fait, elle a beaucoup profité de la baisse de l’inflation et donc des taux longs depuis 20 ans et aussi de leur anti-corrélation avec les actions. L’anticipation d’une remontée des taux longs USA à 5/6% va se traduire par une perte des indices obligataires autour de 25/30% dans les prochaines années. Il est impossible de savoir quand se concrétisera une telle hausse des taux longs. Elle dépendra certainement de la stratégie de la Chine et des banques Centrales quant à leurs achats/ventes d’obligations.
Nous recommandons donc de chercher des alternatives à cette stratégie 60 %/40%, en particulier via une allocation dynamique gérée par l’intelligence artificielle.
Vers une surperformance des actions ?
Une stratégie de reflation est toujours meilleure pour les actions que pour les obligations. On peut penser qu’on va pouvoir ainsi sortir de 20 ans de stagnation des actions Européennes avec un Euro Stoxx 50 qui a eu une performance proche de zéro sur les 20 dernières années.
Vers une surperformance des obligations indexées sur l’inflation ?
Jerome Powell a clairement indiqué dans son discours que la FED regarderait les anticipations d’inflation valorisées par les obligations indexées sur l’inflation. Dans un tel environnement de reflation, on peut s’attendre d’une remontée des taux réels sur le taux de croissance long terme de l’économie soit autour de 2/2.5% contre 0% actuellement. De même les anticipations d’inflation remonteront autour de 2.5%/3% contre 0% actuellement. Ceci correspond bien à un taux d’équilibre des taux long terme nominaux autour de 5/6% comme l’a indiqué Jerome Powell.
Quels actifs réels privilégier ? Or ou métaux industriels ?
Beaucoup d’analystes sont actuellement très positifs sur l’or. Malgré cela, l’or a plutôt déçu (au moins par rapport au cuivre…) et c’est le cuivre qui a surtout brillé par sa performance. Nous pensons que la stratégie de reflation de la FED va impacter négativement l’or par la fameuse anti-corrélation entre or et taux réel mis en exergue par Keynes dans son article séminal sur le « paradoxe de Gibson » qui montre l’anti-corrélation fondamentale entre l’or et les taux réels. L’or est une relique barbare qui monte dans les périodes de vaches maigres et non pas de « golden age ».
Vers une baisse du dollar ?
Le change est clairement l’actif financier le plus difficile à anticiper. De fait, ses fluctuations sont extrêmement complexes et dominées par les banques centrales via des flux difficiles à identifier. Une chose est certaine, si la BCE n’ajuste pas ses objectifs d’inflation sur ceux de la FED, le Dollar va continuer à baisser contre l’Euro comme il a commencé à le faire. De fait, la sur création de la masse monétaire USA va s’intensifier alors que certaines voix allemandes telles celles de M. Weidmann parlent déjà de la volonté de freiner les injections de liquidité de la BCE.
On reviendrait alors au « grand écart » historique entre la BUBA et la FED, qui a marqué les années 70s.
Une fois de plus, le dollar sera la devise des USA et le problème de l’Europe ! Mais ce problème va sans doute sauver l’Europe de son anémie monétaire en obligeant la BCE à injecter plus de liquidités en particulier dans l’Europe du Sud.
Vers l’heure de vérité de la zone Euro ?
Mais on peut se demander si l’Europe du Sud sera alors en mesure d’encaisser un tel choc macroéconomique déflationniste après 20 années de stagnation économique et la crise du coronavirus. Le risque d’un éclatement de la zone Euro risque alors d’augmenter à nouveau.
Christine Lagarde dans sa dernière conférence de presse a été très évasive sur les conséquences de la reflation annoncée par la FED sur la politique de la BCE. Elle a fait part de la mise en place d’une réflexion stratégique de la BCE sur ses objectifs d’inflation.
Mais elle a aussi mis en exergue à très juste titre l’importance capitale des mesures annoncées lors du dernier sommet Européen grâce à l’efficacité retrouvée du couple franco-allemand. Il faut reconnaitre là le génie politique du Président Macron et de la Chancelière Merkel. Ils ont su, envers et contre tout, faire évoluer la position Allemande en acceptant après 20 ans la création d’une dette Européenne. Cette dette peut jouer un rôle capital pour mieux équilibrer la croissance entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord et donc sauver la zone Euro.
Sortir des fonds en euros
Nous recommandons depuis plusieurs mois la sortie de fonds en euros vers des allocations dynamiques d’actifs. Certes, les épargnants français ont perdu le sens du risque via l’opium de la baisse des taux. Cette déflation a euthanasié en Europe les « animal spirits » (capacité des entrepreneurs à créer de la richesse via la destruction créatrice de Schumpeter) dont parlait Keynes, comme fondement du capitalisme et de la création de richesse.
De fait, il est impossible de lutter avec les fonds en euro quant à leur capacité à lisser la performance et donc à cacher (mais non pas éliminer) le risque. Mais ces techniques très sophistiquées mises en place avec brio par les assureurs français ont atteint leurs limites avec la fin de la baisse des taux. Les grands assureurs sont les premiers à freiner l’investissement dans ces fonds en euros en mettant des freins à la souscription et en recommandant les allocations en unités de compte.
Conclusion : vers un «Grand Reset» ?
Le thème du prochain séminaire de Davos est celui d’un « Grand Reset ». Cette grande réinitialisation commence certainement par cette reflation annoncée par la FED. On ne saurait trop insister sur le caractère absolument FONDAMENTAL du discours de , M. Powell à Jackson Hole. Il a annoncé la fin de 40 ans de désinflation qui ont vu les taux et l’inflation USA passer de 20% sous Volker après les sombres années Carter à 0% pour ses deniers mois avec des taux longs USA à leur plus bas historique autour de 0.5%.
Cette renormalisation annoncée de l’inflation et donc de la croissance du PNB nominal USA va avoir des conséquences majeures dans la redistribution de la richesse. Elle va « ruiner les rentiers pour sauver les entrepreneurs » comme le disait Keynes. Elle va ponctionner l’épargne accumulée par les retraités et les gagnants de la mondialisation pour la redistribuer vers les jeunes générations et les entrepreneurs. Elle va relancer les investissements et la consommation et donc ranimer les « animal spirits » des créateurs de richesse. Elle pose les fondements pour une sortie de l’Europe de 20 ans de stagnation. Elle permet d’envisager un retour à des années de « golden age » permettant de rattraper les pertes de croissance accumulées depuis 10 ans par rapport aux PNB potentiel long terme.
Il est fondamental de mettre en place dès maintenant les stratégies patrimoniales pour ajuster sa politique d’investissement face à un tel environnement : augmenter la part des actions, baisser la part des obligations non indexées sur l’inflation, et surtout, adopter une allocation d’actifs dynamique et non plus statique !
Le « Monde d’Après » est en pleine mutation. Il se construit de mois en mois. Nul ne peut pas oser prédire l’avenir qui nous attend. Chacun doit savoir donc s’adapter à cette Histoire en construction en s’adossant sur les nouveaux outils de la digitalisation et de l’intelligence artificielle.