La troisième génération de blockchain ouvre la voie à un usage par les entreprises
Longtemps assimilée au Bitcoin et autres cryptomonnaies, la blockchain pénètre désormais le marché entreprise comme réseau de confiance et de consensus avec une mémoire. Chaque entreprise n’a besoin que d’une seule connexion au réseau blockchain et tous les membres impliqués dans le processus disposent au même moment des mêmes informations certifiées. Ainsi les scénarios, permettant traçabilité, preuve et confiance, se développent et deviennent de plus en plus crédibles.
L’HISTOIRE DE LA BLOCKCHAIN
Nous observons trois grandes étapes répondant à des objectifs différents :
- La première génération de Blockchain dédié aux cryptomonnaies sur des blockchains publiques comme Bitcoin a permis de faire connaître cette technologie et de l’éprouver, notamment en matière de sécurité ;
- La seconde génération, avec l’arrivée d’Ethereum, a élargi les possibilités de données manipulées à tout type d’actif numérique (document, signature, propriété intellectuelle, etc.) et leur tokenisation, associée à la possibilité d’écrire des smart contracts permettant l’automatisation de transactions. Ethereum a permis la création de consortiums privés, intéressant ainsi le monde de l’entreprise et favorisant la création de cas d’usage autour de la traçabilité sur des secteurs métiers silotés ;
- La troisième génération est celle des blockchains permissionnées (Quorum, Hyperledger BESU ou Hyperledger Fabric) qui proposent une infrastructure ouverte de confiance portée par des acteurs principalement issus du monde du software comme Microsoft, JP Morgan, IBM, Intel ou Consensys. Elles ont été pensées pour le monde de l’entreprise et permettent de gérer les droits de l’ensemble des acteurs et donc de mutualiser des infrastructures et de connecter les silos.
LA BLOCKCHAIN POUR LE MARCHÉ ENTREPRISE EST DÉJÀ UNE RÉALITÉ !
De plus en plus de témoignages de mises en œuvre sont partagés par les entreprises. Par exemple, dans l’industrie, certains fabricants automobiles (Lamborghini) ou compagnies aériennes (Lufthansa) utilisent la blockchain pour digitaliser leurs carnets d’entretien afin d’avoir une meilleure traçabilité des interventions de leurs sous-traitants.
Dans le luxe, Louis Vuitton, au-travers de son projet AURA, s’appuie sur la blockchain pour délivrer des certificats de conformité et combattre ainsi le marché de la contrefaçon en permettant de scanner un Q/R code pour consulter la traçabilité d’un produit. Carrefour s’appuie sur des Q/R codes pour garantir la traçabilité d’une centaine de produits et leur suivi dans la chaîne logistique. Ceci offre de la transparence pour le consommateur et permet une réaction extrêmement rapide en cas de problème sanitaire avec localisation en quelques minutes des lots à retirer.
Dans l’agriculture, la blockchain est bénéfique pour les producteurs et les consommateurs. Le projet Agdatahub, par exemple, vise à doter l’agriculture française et européenne d’une infrastructure souveraine et mutualisée de consentement, d’hébergement, de standardisation et d’échanges de données issues des exploitations agricoles et des opérateurs de l’amont agricole. L’étape finale est d’alimenter les modèles d’intelligence artificielle et de développer de nouveaux services utiles aux producteurs agricoles et aux consommateurs français.
Réalisée pour une communauté ouverte d’utilisateurs de la plateforme d’échanges de données, cette plateforme intégrera la blockchain afin de poser, entre autres, les bases de la confiance numérique qui lie les informations des producteurs agricoles et l’identité des exploitations. Cette identité numérique permettra également aux producteurs agricoles de partager les bénéfices de nouveaux services innovants ou contribuer à la traçabilité pour rassurer les consommateurs… Bref, nos producteurs auront la main sur les données qu’ils produisent au travers de leurs exploitations dans un contexte de traçabilité, de preuve et d’ouverture.
Enfin, d’un point de vue citoyen, des projets d’identité souveraine voient le jour partout dans le monde. Nous pouvons en particulier citer le projet Alastria, en Espagne, qui redonne à chaque individu la maîtrise de ses différentes identités numériques (régalienne, médicale, scolaire, professionnelle, etc.), qu’il peut choisir ou non de fournir pour avoir accès à une multitude de services. Les informations étant certifiées sur la Blockchain, l’usurpation d’identité devient quasiment impossible : le réseau blockchain permettant de contrôler leur véracité et leur authenticité. Elle donne donc aux fournisseurs de services un outil de gestion de la compliance très efficace.
LA BLOCKCHAIN, UN MOTEUR DE LA TRANSFORMATION DIGITALE
Tout d’abord les données, une fois stockées dans la blockchain, ne peuvent être ni modifiées ou altérées et les mécanismes de transparence et de traçabilité proposés permettent aux entreprises de suivre chaque détail du système et de prévenir les activités potentiellement frauduleuses. Le tout repose sur une sécurité accrue grâce à l’utilisation de méthodes et d’algorithmes de chiffrements avancés. Ajouté au consensus nécessaire pour qu’un acteur puisse écrire dans la blockchain, cela réduit considérablement les litiges d’un écosystème.
En regardant le marché actuel, la blockchain contribue à améliorer la transparence, à renforcer la traçabilité pour adresser le risque lié à la fraude, à améliorer l’efficacité opérationnelle en partageant des processus avec moins de papier ou de mails. Mais aussi à automatiser ses processus dans des environnements régulés ou contraints. Naturellement, la chaîne logistique, les domaines de la finance, de l’agriculture, de la santé, du commerce ou des services gouvernementaux sont des cibles sectorielles privilégiées.
Pour adresser le marché de la blockchain d’entreprise, il est important de prendre conscience que les identités numériques vont jouer un rôle absolument critique : les individus ou les entreprises seront amenés à exposer certaines parties de leur millefeuille d’identités légales, professionnelles ou sur les réseaux sociaux, et dont devront être vérifiées la véracité, l’authenticité et la preuve sans connaissance. C’est notamment dans cet esprit que la Commission européenne a lancé la consultation EBSI (European Blockchain Services Infrastructure) pour y répondre de manière uniforme à l’échelle européenne pour plus de 300 millions de personnes.
2020 marque une étape importante dans les blockchains d’entreprise car les freins majeurs historiques, que sont interopérabilité et performance, commencent à être levés avec la convergence des projets Hyperledger et des débits de plus de 1 000 transactions / seconde pour les blockchains permissionnées.
Rappelons que les solutions de blockchain évoluent rapidement, soutenues désormais par les gros éditeurs du marché qui se fédèrent autour de la solution Hyperledger. Mis en exergue lors de la pandémie du COVID-19, les cas d’usages et les applications se multiplient dans tous les domaines et ce, très rapidement. Le marché est estimé à plus de 4 milliards de dollars aujourd’hui et à plus de 12 milliards de dollars à horizon 2023. Les opérateurs télécoms peuvent y jouer un rôle clé à car l’analogie avec les services de connectivité est forte. Il s’agit avant tout de masquer la complexité technique et de rendre la connexion à un réseau blockchain simple, permettant au client de se concentrer d’abord sur son métier. Un projet de blockchain est avant tout un projet de digitalisation.
L’autre enjeu pour l’écosystème, est la prise en compte de l’impact environnemental. La blockchain a une réputation sulfureuse en la matière, le minage des bitcoins étant fortement décrié (à juste titre). Mais les blockchains adaptées au monde de l’entreprise répondent à des enjeux de responsabilité sociale et environnementale, leur niveau de consommation énergétique étant non comparable. Grâce aux mécanismes de preuves apportées, les projets blockchains contribuent à réduire la consommation de papier, l’émission de mails et les échanges de réconciliation de données. La blockchain peut être un des maillons des propriétés vertes de la tech.
Philippe Ensarguet, CTO Orange Business Services